Le fragile approvisionnement alimentaire mondial mis à mal par la guerre en Ukraine
L’effroyable guerre en Ukraine représente une menace pour le système alimentaire mondial, déjà fragile, écrit Mark Lacey, responsable matières premières, chez Schroders.
La crise en Ukraine présente des risques pour les approvisionnements alimentaires dont l’impact mondial sera plus large. La Russie retient l'attention en tant que fournisseur de pétrole et de gaz. Mais le pays joue un rôle encore plus important en tant que producteur de matières premières agricoles. La Russie et l'Ukraine représentent, ensemble, environ 30 % des exportations de blé. Il existe donc un risque réel de pénurie alimentaire à venir. Il faut clairement en faire davantage pour garantir un système alimentaire et hydrique durable.
Les pays émergents premières victimes
Un dérèglement des exportations de blé ne restera pas sans conséquences pour le consommateur. Lacey estime que les marchés émergents subiront sans doute les conséquences les plus lourdes. Ils constituent les principaux acheteurs du blé russe. L'Égypte, la Turquie et le Bangladesh représentaient ces dernières années les trois principaux marchés d'exportation pour le blé russe. La situation se dégradera encore si les pays plus riches subsidient les prix alimentaires pour freiner l'inflation, ce qui agrandirait le fossé avec les pays pauvres puisque les prix augmenteraient alors dans les pays qui souffrent déjà de pénuries alimentaires.
Les sanctions touchent également les engrais
La récente déclaration du producteur norvégien Yara a interpelé Lacey : il a insisté sur l'ampleur du risque de pénurie de cultures en raison des perturbations dans le monde agricole. Selon Yara, les agriculteurs se trouvent déjà dans la phase saisonnière au cours de laquelle des intrants comme l'engrais, les semences et l’eau s'avèrent déterminants pour le rendement de la prochaine récolte. Les pires calculs indiquent que l’absence d’engrais ajouté au sol peut amputer les cultures de 50 % d’ici la prochaine récolte.
La Russie ne représente pas seulement un grand producteur de blé mais également de matières premières utilisées dans les produits fertilisants, comme l'azote, le phosphate et le chlorure de potassium. Le marché du chlorure de potassium est surtout très concentré. 80 % du chlorure de potassium exporté provient du Canada, de Biélorussie et de Russie, ces deux derniers représentant ensemble 40 %. Les sanctions occidentales contre la Russie et la Biélorussie vont perturber le commerce de ces matières premières, avec toutes les conséquences que cela implique pour le rendement des récoltes des pays du monde entier.
Le changement climatique menace la sécurité alimentaire
Tout cela arrive à un moment où le changement climatique et les phénomènes climatiques extrêmes mettent déjà les rendements agricoles sous pression. La chaleur et la sécheresse du dernier été ont déjà entraîné la réduction de la production de blé au Canada. En cas de réchauffement de 2°C, les académiciens estiment que le rendement du maïs chutera de 14 % et celui du blé de 12 % alors que les besoins alimentaires ne cessent d'augmenter en raison de la croissance de la population mondiale.
Un récent rapport des Nations-Unies indique que la pression du changement climatique sur la production alimentaire et l'accès à l'alimentation ne cessera d’augmenter, surtout dans les régions fragiles, ce qui mine la sécurité alimentaire.
La sécurité alimentaire peut entraîner de nouveaux conflits
L'invasion de l'Ukraine et ses conséquences pour la fourniture d'engrais et de nourriture mettent le doigt sur les faiblesses du système alimentaire et hydrique et les exacerbent. Si rien n'est fait, les conséquences particulièrement négatives peuvent toucher le monde entier. Bien que, dans le cas présent, la pénurie soit la conséquence de la guerre, l’absence de sécurité alimentaire en soi peut être source de conflits. Yara déclare qu'un monde dont l’approvisionnement alimentaire est instable est un monde de famine, de mortalité accrue, de conflits armés, de migrations, d'émeutes et de sociétés déstabilisées qui peut entraîner de nouvelles tensions géopolitiques. Lacey partage cette inquiétude.
Rendre l'alimentation et l'eau plus durables doit devenir une priorité
Lacey estime que la mise en place d'un système alimentaire et hydrique durable représente un des défis les plus urgents que le monde doit relever. Les entreprises qui assurent la sécurité alimentaire et la durabilité doivent rapidement augmenter leurs efforts pour tenter d'éviter ces conséquences néfastes. Pour y arriver, il faut investir 30 milliards de dollars entre aujourd'hui et 2050. Selon Lacey, trois modifications structurelles s’imposent :
- faire en sorte que la technologie permette d'augmenter les rendements et l'efficacité agricoles ;
- changer le modèle alimentaire mondial, comme réduire, par exemple, sa consommation de viande ;
- réduire fortement les déchets et les émissions.
Lire aussi How Russia’s invasion of Ukraine threatens the global food supply, parMark Lacey, responsable matières premières chez Schroders.
